Entretien
informel avec « Patrice PASSY, Président UCA »et « Agla SAMBA, AGANSEL-SMART BEE DIGITAL. »
Agla SAMBA- Bonjour Patrice, le 3 février se tient à
Brazzaville, « Les conversations
stratégiques de l’UCA à Brazzaville » de nombreux internautes ont des
questions et ces quelques minutes avec vous, vont nous permettre d’échanger sur
ces points.
Alors
Patrice, dites-nous tout, pour commencer, qu’est-ce que la pensée stratégique
endogène africaine ? C’est un terme assez complexe ! Pouvez-vous
étayer svp ? Qu'est-ce que la pensée ?
Patrice PASSY- Agla, merci pour ces quelques minutes d’échanges qui pourront
aider nos internautes à comprendre ce qui se prépare. Pour commencer,
j’aimerais citer une citation que j’aime beaucoup de Platon. Il dit : "un
dialogue invisible et silencieux de l'âme avec elle-même “invisible et
silencieux.
La
pensée ne consiste pas dans les conquêtes de l'esprit, ni dans les
connaissances accumulées, mais dans le processus même de la vie s'explorant
elle-même. Chacun d'entre nous, peut-être, en serait capable, mais d'être
chercheur ou savant ne le garantit en aucune manière. Il y a tant de façons
d'échapper au silence nécessaire à cette rentrée en soi-même et de fuir la
solitude qui est la compagne obligée et féconde de celui qui a entrepris
d'approfondir sa propre vie.
Agla SAMBA- Si je comprends bien,
pour vous la pensée stratégique endogène est une invitation à la réflexion sur
les motivations et sur les changements que chaque individu puisse générer dans
sa vie ?
Patrice PASSY- C’est à peu près cela ! Permettez moi d’aller plus loin en
restituant mon explication. Nous savons tous que la télévision et les journaux
ne sont pas le seul moyen qu'emprunte l'homme de ce temps pour se fuir
lui-même. La compilation des données scientifiques, avec ou sans ordinateur,
n'est souvent qu'une autre manière, individuelle ou collective, d'échapper à l'ennui,
ou de consacrer fébrilement le présent à préparer le futur de la carrière.
L'appétit
effréné des informations, et des connaissances scientifiques détourne aussi
sûrement de soi-même que le mépris de la connaissance."
"Par-delà
le triomphalisme de la science et les avidités thésaurisatrices de la raison
discursive, peut-être pouvons-nous, tâche difficile entre toutes, entreprendre
de retrouver les chemins perdus de la pensée, qui «ne mènent nulle part »
(c'est-à-dire aux « sources »). Nous y ferions sans doute, avec un étonnement
ancestral, la rencontre d'Héraclite d'Éphèse."
Agla SAMBA - D’accord Patrice, mais pouvez vous nous
dire, quand est-ce qu’une pensée devient alors stratégique ?
Patrice PASSY - La stratégie ressemble à une carte routière. II faut savoir
LE point de départ et LE point d’arrivée que l’on vise. La stratégie
indique simplement comment y arriver.
Une
stratégie propose des projets d'actions à mettre en œuvre immédiatement, mais
elle fournit aussi une perspective à long terme qui nous guidera pendant des
années de travail acharné, les revers et les réussites à court terme.
Une
pensée devient stratégique quand elle, se distingue de la réflexion exécutive à
caractère pratique, de la réflexion universitaire de type scientifique et de la
pensée politique à dominante institutionnelle, car elle constitue un genre de
réflexion holistique complexe, systématique et encadrée, qui ne s'acquiert pas
automatiquement et à laquelle on ne peut pas accéder par intuition ou par
inadvertance. Elle est plutôt une conséquence de l'accumulation de
connaissances, d'expériences, de principes, de théories et de méthodologies
rationnelles étudiés au fil des ans dans des académies spécialisées ; ce qui a
donné lieu à une discipline appelée "la science de la stratégie."
La
pensée stratégique est donc une réflexion pluridimensionnelle et
poly-angulaire, prenant en compte le passé, le présent et l’avenir et employant
les méthodes quantitatives et le langage des chiffres et les lois de la
causalité et des entrelacs des divers facteurs dans la compréhension des
variables hétérogènes et interdépendants et de l’appréhension intellectuelle
des corrélations entre les choses.
Agla SAMBA - Pouvez-vous être plus
précis ?
Patrice PASSY - Il s’agit donc d’une pensée synthétique et structurelle adoptant
la perception, la prévoyance et l'intuition pour évoquer et anticiper l'image
lointaine et façonner l'avenir avant qu'il ne survienne.
Les
deux mamelles : innovation et créativité. Elle opte pour la créativité et
l'innovation dans la recherche de nouvelles idées et d’applications novatrices
des connaissances antérieures pour prévoir l'avenir et en déterminer les
tendances et les transformations virtuelles, au lieu d'être totalement pris par
le présent et s`engluer dans ses problèmes qui sont en fait un prolongement du
passé.
Agla SAMBA- vous nous exposez là un vaste projet, mais
selon vous, comment devons nous faire pour rendre cela opérationnel ?
Patrice PASSY - On doit opter pour l'enquête, l’observation, la réflexion, la
déduction, la pensée anticipative et proactive et le raisonnement.
Résumons-nous
: la réflexion stratégique consiste en cet effort mental, intégral et
systématique, visant à explorer l’avenir et sa structure prospective sur la
base des données historiques, géographiques, anthropologiques et scientifiques
globales constituant un large spectre de connaissances représentant une source
d'inspiration et une base de conception, d'anticipation, de prévision et
d'hypothèse sur lesquels on peut s'appuyer pour imaginer les contours que
pourraient ou devraient revêtir l'avenir.
Ainsi, nous voulons par la pensée stratégique : fabriquer l'Afrique de
demain en tant que futur du monde d'aujourd'hui.
La
pensée stratégique de l’UCA est une réflexion créatrice d'évolution partant du présent africain pour
dessiner l’image de l'avenir sur laquelle il s’appuie afin de modifier la
structure du présent.
Elle a recours aux techniques d’induction, de déduction et d’extrapolation et
recourt à l'analyse diagnostique pour comprendre la vérité des choses avec
réalisme et clairvoyance.
Agla SAMBA - Ok ok Patrice, en un mot, c’est une
réflexion analytique, prospective, planificatrice et anticipant qui s’attache à
décrypter le passé, à faire une lecture précise du présent et prévoir
l’avenir ?
Patrice PASSY – C’est tout à fait cela. En dernière analyse, nous pouvons dire
que la pensée stratégique est la volonté de se libérer de la tyrannie du moment
et est un effort pour appréhender et domestiquer l’inconnu, pousser le plus
loin possible les limites du connaissable et dessiner les cartes du probable
afin d’anticiper les situations d'urgence, éviter les surprises, maîtriser les
événements, les contrôler et en subordonner le déroulement à des intérêts et
objectifs spécifiques.
Agla SAMBA - Alors, pourquoi dire une pensée
stratégique endogène ?
Patrice PASSY – Notre continent va devoir installer un milliard de nouveaux
urbains en une génération. Ce que l'Afrique va faire, aucun continent sur terre
ne l'a fait... Il faut, pour nous africains, tout inventer, afin de faire face
à ce monde multipolaire qui se construit sous nos yeux. Or ce jour depuis plus
de 200 ans, tout a été fait pour nous, sans nous, c'est à dire 200 ans après, contre-nous.
Les
processus économiques de rente et de coopération postcoloniaux n’ont pas
permis, pendant longtemps, de favoriser de véritables transferts de
compétences, la construction d’autonomies authentiques et pertinentes
favorisant ainsi, le maintien d’une demande toujours renouvelée d’assistance,
en lieu et place de l’émergence de véritables partenariats. Ce cycle économique
a engendré, puis entretenu nos pauvretés qui ont générées une grande crise des
intelligences africaines face à la vitesse des réponses qu’exige la
mondialisation.
Parce
que le constat africain est qu'il manque un cadre conceptuel : Le constat est
que les réponses traditionnelles (économique, culturelle, sociale,
intellectuelle, philosophique, …) face aux exigences du monde multipolaire qui
se dessine sous nos yeux, sont devenues obsolescent c’est-à-dire des dynamiques
africaines qui tendent à rendre notre présent périmé. Il en est de même pour
les offres de nos alliés traditionnels qui souffrent d’une obsolescence
créatrice, c’est-à-dire inadaptation des offres aux demandes des peuples
africains (les sept faims des peuples africains). Cette obsolescence est due à
l’apparition d’une offre nouvelle mieux adaptée à la demande (le glissement de
la puissance financière mondiale vers le moyen et extrême orient, l’offre
chinoise principalement, qui met presque un terme au cycle économique
postcolonial). Vous l’avez compris, avec la mondialisation les paradigmes
postcoloniaux deviennent inopérants ou très peu performants. Et ce n’est plus aux autres de nous
fournir les nouveaux paradigmes pour s’arrimer à la mondialisation, d’inventer
pour nous, sans nous c’est-à-dire contre nous.
Parce que nous voulons maintenant et ardemment inventer notre enthousiasme
conquérant.
Agla SAMBA - Alors quel serait le but de ce vaste
projet ? Ne va t’il pas demander de nombreux efforts ?
Patrice PASSY- Si le but de ce travail est de rendre le continent plus visible
et plus confiant dans l’arène mondiale, force est de reconnaître que les défis
ne manquent pas. Et tant mieux, car c’est dans la difficulté que les individus
et les communautés se dépassent pour donner le meilleur. C'est d'ailleurs ce
qui explique l'enthousiasme conquérant de la jeunesse africaine, celle qui a eu
la chance d'accéder à la formation.
La Pensée Stratégique Endogène
Africaine (PSEA) est donc l’appareil africain de solutions conçu pour alimenter
en solutions, réflexions et actions les acteurs politiques et économiques sur
les sept faims des peuples africains.
Grâce
à un processus cognitif adopté dans le cadre du rattrapage économique prônée
par les stratégies d’émergence économique des Etats Africains.
Agla SAMBA - C’est un vaste projet qui est tout à votre honneur ?
Comment avez vous donc décidé de commencer ce projet avec l’UCA ?
Patrice PASSY- Deux outils ont été créés par l’UCA : la Pensée Stratégique
Endogène Africaine et la Nationale stratégique qui ont pour missions de concevoir ce
processus puis le mettre en œuvre par la méthode de la destruction créatrice
des paradigmes postcoloniaux.
Ce
processus d’innovation africain se propose d’accompagner nos gouvernements à
structurer leurs réponses face aux « sept faims » du peuple appelés communément
les thématiques sociales à savoir :
1. L’accès à une nourriture en qualité
et quantité suffisantes.
2. L’accès aux soins de santé de
qualité.
3. L'accès au travail et à la sécurité
pour tous.
4. L’accès à un toit décent, à l’eau
potable en qualité et quantité suffisantes.
5. L’accès à l’alphabétisation et à
l’éducation pour leurs enfants.
6. L’accès à un avenir sécurisé et
commun pour tous.
7. L’accès à un bien être partagé par
tous.
Agla SAMBA- Merci Patrice, mais pourquoi alors une
conversation stratégique de l’Université des connaissances Africaines à
Brazzaville ?
Patrice PASSY - Parce que Brazzaville est une « ville intellectuelle » ayant
toujours participé à la « planétarisation des questions africaines ». Le
continent va être le moteur de notre monde, mais pour ce faire, il doit
parachever sa décolonisation, réactualiser les valeurs qui sont les siennes et
proposer un projet de civilisation ancré dans « ses potentialités heureuses »,
grâce à ces « révolutions silencieuses » en cours. "Cela suppose de
réfléchir aux modèles politiques et économiques à mettre en place, quitte à
renoncer à la notion de « développement », à penser des démocraties sans
nécessairement recourir à des élections, à se demander si le continent doit
défendre le « spécifiquement africain » ou la « créolité », à moins que ces
deux pistes ne soient complémentaires."
Ensemble,
construisons de nouvelles souverainetés collectives.
Notre
rationalité est devenue économiste, son paradigme est le libéralisme
triomphant. Nous n'avons plus d'autres ressources qu'un appel déraisonnable à
la mise à mort de notre obsolescence créatrice... et à l'insurrection de
l'audace conceptuelle. Ce qui relie, rallie, relate, États peuples nations,
quelle que soit leur complexité constitutive ou découlant de l'Histoire, c'est
souvent une idée, une éthique référentielle. Cela peut aussi être une intention
autour d'un projet global ; une stratégie d'ensemble liée à une vision commune
des enjeux du monde ; un pacte républicain ou autre qui autorise le respect des
différences et surtout leur expression positive. C'est donc une autre forme de
souveraineté qu'il faut trouver à l'intérieur des terres africaines, et cette
forme ne peut être que collective. Pour que la deuxième puissance démographique
mondiale puisse jouir de son statut dans 30 ans, il nous faut, après les
indépendances octroyées, franchir une nouvelle étape de notre histoire. Il va
donc s’agir de construire notre souveraineté collective. La souveraineté met fin
à toute forme de colonisation en dotant une entité collective d'un outil
politique d'abord capable de s'auto-organiser, puis de maîtriser et de choisir
les interdépendances qui lui sont nécessaires (ses relations extérieures, ses
adhésions, ses alliances historiques, ses associations, ses choix économiques,
son réseau écologique international, sa coopération régionale, son maillage de
luttes dans les combats mondiaux, etc.…).
Agla SAMBA- Sur ces quelques mots, nous vous
remercions Patrice pour cet échange qui nous a permis de mieux cerner les
enjeux de l’évènement à Brazzaville. Nous vous souhaitons pleine réussite, et
espérons que les Congolais qui aspirent aux changement pourront se joindre à ce
vaste projet qui semble être précurseur d’un réel changement des mentalités en
Afrique central.
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